Affaire RIFKI : Rien que du vulgaire et du subalterne

Publié le par Ali.ABDOU.MDAHOMA

Affaire RIFKI : Rien que du vulgaire et du subalterne

  •   

 Dr Ali ABDOU MDAHOMA  s'exprime sur l'affaire Rifki 

  • Il y a du réalisme et du cynisme dans l’affirmation de Jean Rostand selon laquelle, «on tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est Dieu». Cette parole forte résume parfaitement toutes les ambiguïtés de la relation que les Comores entretiennent avec une forme avancée d’assassinat, autrement dit la corruption car, à en croire Pierre Péan, «plus que la peste hier et le sida aujourd’hui, la corruption tue.[…] Traitée généralement à la rubrique“faits divers”, elle devrait, dans certains cas, passer à celle de“crime contre l’humanité”».Concrètement, aux Comores, plus on occupe un rang élevé dans la hiérarchie du vol et de la corruption, mieux on est célébré, applaudi et respecté. Ceci est d’autant plus vrai qu’à ce jour, les plus grandes «célébrités» de notre pays sont des voleurs d’argent public ayant pignon sur rue, connus et reconnus par tous. Ce qui nous fait penser à une réflexion faite par Malek Chebel, anthropologue de l’Islam, qui affirme avec bonheur que les Arabes aiment les héros négatifs comme Oussama Ben Laden et Mouammar El Kadhafi. Les Comoriens aussi, hélas!
  •  
  • Aujourd’hui, les Comores sont tellement engluées dans la corruption que les seules autorités respectées dans notre pays sont des corrompus affamant le peuple. Depuis des années, gagnés par le fatalisme, le découragement, l’impuissance et la lassitude, les Comoriens applaudissent ou vomissent les turpitudes de dirigeants aux pratiques à la fois malsaines et indécentes. Mais, cette fois, la coupe est pleine car le cas de corruption qui fait le plus jaser n’est pas le fait d’un voleur de poules, mais celui de Saïd Abdallah Rifki, secrétaire général du Département du Mufti de la République des Comores, autrement dit, la deuxième personnalité religieuse d’un pays dont la Constitution nous apprend que «Le peuple comorien, affirme solennellement sa volonté de: - puiser dans l’Islam, l’inspiration permanente des principes et règles qui régissent l’Union […]» (début du Préambule).
  •  
  • L’affaire Rifki étant suffisamment connue, il suffirait à peine de rappeler que cet homme, abusant de sa position socioprofessionnelle, a intercédé en faveur de l’ouverture d’un débit de boisson, moyennant 2 millions de francs comoriens, alors qu’auparavant, il avait été à la tête d’une délégation ayant demandé et obtenu du Président de la République la fermeture des débits de boisson. Saïd Abdallah Rifki a été pris la main dans le sac, en train de corrompre le fonctionnaire du ministère de l’Intérieur censé ordonner l’ouverture du débit de boisson appartenant à ses protégés.
  •  
  • Dès lors, ceux qui parlent de «piège» pour essayer d’innocenter le «religieux» versant ouvertement dans la tartuferie ferment un peu trop facilement les yeux sur le fait que l’indélicat est pris en flagrant délit de corruption d’un agent de l’État et que, si son acte n’avait pas été arrêté par l’intervention des Forces de l’ordre, il aurait commis son forfait.
  •  
  • D’un strict point de vue juridique, il est à noter qu’en Droit pénal, l’auteur d’un délit n’est pas seulement celui qui commet les faits incriminés, mais aussi celui qui, dans les cas prévus par la Loi, tente de les commettre. En d’autres termes, la tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Or, Saïd Abdallah Rifki n’a pas arrêté son forfait de lui-même, mais parce qu’une circonstance indépendante de sa volonté l’en a empêché. Il est également nécessaire de savoir que la tentative doit être manifestée par un commencement d’exécution de l’infraction. Et, dans le cas de Rifki, il y a eu commencement d’exécution de l’infraction.
  •  
  • Saïd Abdallah Rifki, en tant qu’agent de l’acte délictueux, ne se trouvait plus au stade des actes préparatoires, mais n’a pas encore abouti entièrement à l’infraction principale puisqu’il en a été empêché. Il y a donc commencement d’exécution puisqu’on est en présence d’actes tendant directement à la consommation de l’infraction. Donc, aux yeux de la Loi, il est entièrement coupable comme si son infraction était entièrement consommée, puisque, de toute façon, il n’avait aucune intention de ne pas commettre son forfait. Il mérite donc la peine de prison qui a été prononcée contre lui, même si on peut s’interroger sur le caractère expéditif de la sanction pénale prononcée contre lui à la hâte.
  •  
  • Mais, dans cette triste affaire, il faut aller au-delà du Droit, car cet indélicat n’a pas «fauté» uniquement sur le plan juridique; son forfait constitue aussi un Titanic moral, dans la mesure où, de par ses fonctions officielles, il incarne un important magistère moral. Donc, il est coupable à la fois sur le plan légal et sur le plan moral. On ne peut pas faire pire. Ce qui doit nous inciter à réfléchir sérieusement sur la relation douteuse que les religieux comoriens entretiennent avec l’Islam puisque, en la matière, la tartuferie, injure envers Dieu, est devenue une règle dans notre pays. Les Comoriens n’ont besoin de personne pour rester de bons Musulmans. D’où la nécessité d’abolir toutes les institutions censées encadrer le Comorien dans sa pratique de l’Islam. Nous sommes des Musulmans Sunnites, et le Sunnisme n’a nullement besoin de clergé, comme c’est le cas du Shiisme avec ses Ayatollahs, ses Mollahs (…).
  •  
  • Ici et là, j’ai entendu des Comoriens dire que certaines autorités comoriennes ont volé plus d’argent que Saïd Abdallah Rifki. Certes, mais cela ne saurait excuser le forfait commis par le «religieux» déchu. En février 2011, j’étais présent à La Courneuve, quand le Président élu, le Docteur Ikililou Dhoinine, avait prononcé un discours d’une très bonne facture, discours à travers lequel il avait évoqué les malheurs d’une Justice comorienne qui n’arrive pas à trouver ses marques parce que, chaque fois qu’une peine d’emprisonnement est prononcée, le notable portant ses plus beaux habits traditionnels et le ministre habillé en costume et roulant carrosse se précipitent chez le juge pour demander l’annulation de la peine.Or, déjà, Abdallah Saïd Rifki bénéficie du soutien des notables de sa région d’origine. Ce qui est dangereux pour la Justice de notre pays.
  •  
  • Les notables bien-pensants nous disent doctement qu’il ne faut pas «embêter» Saïd Abdallah Rifki car il y a ceux qui sont coupables de vols de millions de francs d’argent public et qui ne sont pas inquiétés. Je ne suis pas juriste de formation mais je sais qu’en Droit, chacun est responsable de ses propres actes, et on ne saurait échapper à la Justice en évoquant l’impunité dont bénéficie autrui. En effet, l’impunité ne saurait créer un droit acquis, et on ne peut pas se baser là-dessus pour échapper à la Justice. Donc, Saïd Abdallah Rifki doit rester en prison. En même temps, on doit engager des poursuites judiciaires contre les autres mauvais garçons de la République, que l'écrivain Aboubacar Ben Saïd Salim a traités de « wedzi watukufu wa dawla » (« Les honorables voleurs de la République ») dans un article intitulé "Ustadh Rifki, l'arbre ne doit pas cacher la forêt" paru dans le N° 1878 du 30 décembre 2011 dans le journal d'Etat "Alwatwan" pour éviter le double langage.

Dr Ali ABDOU MDAHOMA

Professeur de lettres modernes à Paris.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article